Le rose et moi

  

   Quand on y pense, c’est absurde : pourquoi une couleur aurait-elle un genre ? Pourquoi le bleu serait-il masculin et le rose féminin ? Ce n’est ni une règle biologique ni une loi naturelle, mais bien une construction sociale.  

   Le rose est souvent perçu comme une couleur «féminine», renforçant ainsi des clichés sexistes, notamment l’idée que les filles doivent l’aimer. Mais pour moi, il ne s’agit pas seulement d’une couleur : c’est une étiquette, un conditionnement, une assignation silencieuse imposée avant même que nous ayons notre mot à dire. Une manière subtile mais efficace d’enfermer les filles dans un moule précis. Derrière cette couleur se cachent des attentes bien définies : être gentille, douce, aimable, discrète.  

   Depuis toute petite, j’ai remarqué l’omniprésence du rose dans l’univers des filles. C’était une évidence, une règle tacite, une case dans laquelle on nous enferme avant même que nous ayons pu décider par nous-mêmes. Dès la naissance, les chambres des petites filles sont repeintes en rose, leurs vêtements sont roses, leurs jouets sont roses. Tout est pensé pour que cette couleur devienne une partie intégrante de leur identité.  

   Ce qui m’a toujours frappée, c’est le contraste avec les garçons. Eux avaient droit à toute une palette de couleurs : bleu, vert, gris, rouge, noir… sauf le rose. Un garçon qui aime le rose est moqué, traité de « PD », de « femme manquée » et autres. 

   Pourtant, malgré tout ce matraquage, je n’ai jamais aimé le rose. Non seulement il ne m’allait pas, mais il ne me correspondait pas. Je le trouvais trop convenu, trop prévisible. On lui prêtait des valeurs de tendresse et d’amour, mais à mes yeux, il manquait d’éclat, de profondeur et d’intensité. C’était une couleur qui cherchait à plaire à tout prix, sans jamais s’imposer.  

   Moi, j’aime les couleurs éclatantes, celles qui captivent et imposent leur présence. Le rouge, lui, ne cherche pas à se faire aimer : il existe avec puissance. Il m’a toujours fascinée par son audace, sa force et son charisme. En plus, il me sublimait, que ce soit en vêtements, en maquillage ou même en lingerie. Le rouge attire le regard sans demander la permission. À travers lui, je revendiquais une identité différente.  

   J’ai grandi en rejetant le rose, comme un acte de révolte contre ces stéréotypes qu’on voulait m’imposer. Pourquoi fallait-il absolument qu’une fille aime le rose ? Pourquoi devrais-je me conformer sans qu’on me consulte ? Dire « Je n’aime pas le rose », revenait à affirmer : « Je refuse d’être enfermée dans un rôle prédéfini. » C’était ma façon de revendiquer ma liberté, d’affirmer que je voulais choisir par moi-même.  

   Et puis, l’ironie a frappé. Lors du lancement de mon blog, après des heures de réflexion sur le design et de longues hésitations, j’ai fini par choisir… du rose.  

   Un jour, Bae m’a interrogée : Pourquoi du rose pour ton blog, alors que ce n’est pas ta couleur préférée ?  

   Sur le moment, je n’avais pas de vraie réponse. Puis, en y réfléchissant, tout s’est éclairé. Après avoir envisagé plusieurs couleurs – le noir, trop austère, l’orange, trop fade – un rose foncé s’est imposé. Contre toute attente, il captait l’attention. Et puis, soyons honnêtes : dans notre société, le rose attire spontanément les femmes. Il évoque immédiatement une image familière, bien que stéréotypée. Il parle à un certain public. Un choix stratégique, plus qu’un coup de cœur.  

   Je n’ai pas choisi le rose par amour, mais parce que je savais qu’il parlerait aux autres, qu’il renvoyait une image immédiatement reconnue. Nous avons été tellement conditionnées à l’associer aux femmes que, parfois, nous finissons par l’accepter sans y penser.  

   Et vous, aimez-vous réellement le rose, ou est-ce simplement une habitude inculquée depuis l’enfance ?

Esthie✒️